Claude QUIESSE et la baleine
blanche
Voici, avec Quiesse, une de
ces peintures apparemment simples qui sont les
plus difficiles à comprendre, au sens
claudélien de " prendre —
avec ". Qui est-ce, Quiesse ? Le jeu de
mots aimé des surréalistes s'impose.
On voit bien ce qu'il peint, cavaliers imaginaires,
marins prenant à bras le corps de monstrueux
poissons, manifestants en révolte, processions
de pêcheurs. Et puis, la mer, dont l'artiste
dit cependant qu'on ne peut pas la peindre.
Héraclite aurait compris cela d'emblée.
"On ne se baigne pas deux fois dans le
même fleuve" sonne comme "on
ne peint pas la mer". La vague, oui : Hokusaï,
Courbet. Et pourtant, dans cette peinture, la
mer est là. Comme la plage des origines.
Comme les chevaux. "Mer-mère",
dit Quiesse, qui joue avec les mots. C'est vrai
que ce voyageur du rêve porte en lui la
mère normande qui associe sans peine
le port et le haras, l'ancré et la charrue.
Sans concession à l'anecdote, cette épaisse
peinture tourmentée nous dit ce que furent
les Normands dont Quiesse est issu, derniers
nomades convertis d'Occident.
Voila ce que répète
cette peinture en conflit, peinture d'ailleurs
et d'ici, avec ses grands poissons blancs, ces
cavaliers montant à cru, ces barques
halées sur des grèves lusitaniennes,
peinture drue et forte, nourrie d'épais
verts d'algues, de gommegutte, de blancs ventres
de poissons morts, de violets blafards d'orage.
La peinture, cette immobilité
naturelle chargée d'exprimer la mouvance
atavique, voilà la raison de ces tourmentes
de pâte, et de cette sorte d'indifférence
de l'artiste au lieu qui lui prête, non
son sujet mais son motif. Il n'y a là
aucune concession folklorique, même s'il
s'agit des Tropiques ou de Venise. Aucun réalisme
même ne permet de situer le lieu-peint
sur la carte et pourtant, c'est la réalité
même. Étrange Quiesse !
Quiesse, on ne sait où,
donc, besogne sa toile. Derrière, filent
les escadrons de l'orage. Le peintre est caché
dans la masse ventrue d'un rafiot rouge minium.
L'adjectif "ventru" est significatif
: Quiesse compose toutes ses toiles par le ventre.
On effleure là les grandes mythologies.
Jonas. Ou la Maternité. Peinture matricielle
Bon. Ce qui précède,
je le traduis en termes de peintre. Généralement,
le peintre compose à partir des bords
de la toile, ou de la fameuse ligne d'horizon,
ou, plus élaboré, du non moins
fameux "point Phi". A partir de là,
il insère sa vision dans la célèbre
surface de Maurice Denis. ("Un tableau,
avant d'être un cheval de bataille, une
femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement
une surface plane recouverte de couleurs en
un certain ordre assemblées"). Quiesse
entre dans cette surface non par le cadre, non
par le centre géométrique qui,
à l'extrême limite, n'est plus
qu'un point, mais bien à partir du ventre
de la toile. L'image se débrouillera
comme elle pourra avec les bords, ces coupures
arbitraires dans le champ du monde. Ainsi font
les nébuleuses. La nature ne crée
pas par le cadre mais par l'expansion. C'est
par cette démarche que passe le rêve
nordique de Quiesse. Comme le capitaine Achab
de Moby Dick, il cherche la baleine blanche.
Cette démarche très
particulière unifie une œuvre diverse
et fait que, quels que soient le thème
et le lieu, une composition de Quiesse reste
de Quiesse. Dans le langage usuel des ateliers,
peinture se dit matière. Matière
de Chardin, de Courbet, de Vélasquez...
Là se définit la personnalité
du peintre, qui échappe aux mots. Le
geste du peintre le plus familier est de retourner
son tableau tête en bas pour mieux voir
ce qu'il ne représente pas. Alors paraît
la peinture, délivrée de toute
signification extérieure. Le bon expert,
celui qui sait son affaire, reconnaît
Chardin, Courbet ou Vélasquez dans un
carré de 10 centimètres sur dix,
pris n'importe où dans le tableau. Il
est alors seul avec le peintre dans un domaine
où ne pénètrent pas ceux
qui ne prennent pas la peinture par le ventre,
historiens, esthéticiens ou philosophes.
Il est alors dans la quatrième dimension
du tableau, qui n'est plus ni abstraction ni
figuration, mais au-delà.
Dans la mesure où les
mots peuvent rendre compte de l'art, la peinture
est composition, dessin, couleur, matière.
Peu importe l'ordre de ces quatre éléments,
qui varie selon l'artiste. Bien entendu, ils
se mêlent. Chaque peintre a sa force.
Composition, Poussin, Braque. Dessin, Durer,
Ingres. Couleur, Vermeer, Bonnard. Matière,
Tous. (sinon, ils ne sont pas des peintres,
mais de simples imagiers). Or il est rare que,
dans cette formule qui définit le peintre,
la dominante soit la matière, cette abstraction
malgré les mots. L'équation qui
caractérise Quiesse me semble celle-ci
: Matière, couleur, composition, dessin.
Elle requiert chez l'amateur un haut niveau
d'instinct ou de connaissance.
C'est alors que le capitaine
Achab, d'Herman Melville, apercevant les jets
d'eau de la fabuleuse baleine blanche, lance
le cri même de l'aventure picturale :
"Elle souffle !".
Armand LANOUX,
de l'Académie GONCOURT
Claude
Quiesse enveloppe ses visions lointaines dans
le cocon des grisailles et des brumes matinales
des plages et de la campagne Normande, comme
s'il voulait cacher, par une sorte de pudeur,
ce tempérament secret d'éternel
errant, et tempérer ainsi, son besoin
de soleil et d'espace ; créant par là
même, un climat immatériel qui
insensiblement transporte dans un univers de
rêve :
- grands voiliers rougeoyants
qui surgissent brutalement d'un épais
rideau de brume : vaisseaux fantômes...
- paysans se rendant par les grèves,
dans la moiteur incertaine de l'aube, à
quelque marché auquel on pense qu'ils
n'arriveront jamais !...
Roulottes fantomatiques, cavaliers
sortis de la nuit, dont on peut rêver
qu'ils galopent sur quelque plage tropicale,
au bord d'une lagune : souvenirs du Pacifique,
résurgence des impressions qu'a dû
ressentir Claude Quiesse au cours de son passage
dans les mers chaudes, lorsque, à bord
de son "BELIGOU", il entreprit, avec
son frère, un premier périple
autour du monde.
Ces résurgences, on
les retrouve dans la plupart des toiles et des
dessins ; elles font que Claude Quiesse n'est
pas un peintre tout à fait comme les
autres... à l'image de ses personnages
qu'il peint dans des couleurs volontairement
sourdes et qui gardent un caractère profondément
réfléchi et nostalgique ; ils
n'ont pas d'époque, pas d'âge,
pas de patrie... Eternels errants de la pensée
! Claude Quiesse, Peintre du Nord ? Peintre
Méridional ? Gardons-nous bien d'apporter
une réponse et laissons-lui tous ses
rêves, en espérant qu'entre ses
voyages réels ou imaginaires sous les
ciels et sur les mers lointaines, sources de
son inspiration, il éprouvera toujours
le besoin de retrouver sur sa terre natale de
Normandie, un havre de réflexion et de
travail, où pourra continuer à
s'épanouir son incontestable talent.
Robert HAMON,
Conservateur du Musée Baron Gérard
- Bayeux.
Un superbe
artiste bas-normand, Claude QUIESSE, aussi bon
peintre qu’excellent dessinateur, sculpteur
apprécié tout autant que navigateur
expérimenté et audacieux. Natif
de Caen où la fréquentation de
l’Ecole des Beaux Arts lui fit prendre
conscience de la valeur essentielle du dessin,
Claude QUIESSE a enrichi son talent autour du
monde sans renoncer toutefois à cette
expression sobre et séduisante qui le
caractérise.
Non sans un certain humour
feutré et un sens incisif de l’observation,
cet artiste compose ses oeuvres avec une connaissance
technique équilibrée tout en y
déposant une harmonie aux effets nostalgiques,
relevés d’une aimable poésie.
Dans une atmosphère de brumes estompées
d’or et d’argent, combien d’émouvantes
marines aux mâts et voiles enchevêtrés,
combien de sombres groupes d’orgueilleux
cavaliers matérialisent en beauté
le rêve infini et enthousiaste de Claude
QUIESSE, peintre émerveillé et
authentique créateur toujours à
la recherche de fascination et d’irréel.
André RUELLAN, critique
d’art.
|